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« Le scout est l’ami de tous et le frère de tout autre scout. » [Loi scoute & Vie pro] par Thibaud Brière de la Hosseraye
Bonne nouvelle, le scout est fratelli tutti !
Mais plus facile à dire qu’à faire! Comment pouvons-nous vivre ce quatrième article de la loi scoute dans l’exercice de notre métier ? De quelle manière cet appel à une fraternisation universelle peut-il s’incarner dans des vies professionnelles davantage régies par la règle de la concurrence et des rapports de force économiques ?
Parce qu'ami, le scout voit dans le collègue une personne
Quand la tendance dans les grandes organisations est aux rapports sociaux anonymes, neutres, aseptisés, à considérer le personnel comme une impersonnelle "ressource humaine", le voilà, lui, singulier, qui se démarque par sa proximité, son empathie, son intérêt pour la santé des uns et la vie des autres.
Même si cela demande un peu de temps, de finesse relationnelle et parfois d’audace, nous avons tous, sur notre lieu de travail, la possibilité de rendre manifeste par un geste, une parole, le fait que nous considérons d’abord l’autre comme une personne, avant de le voir comme une fonction utile. Pour paraphraser un Nazaréen célèbre, nous pourrions dire que c’est à l’amour qu’il porte aux autres que l’on devrait pouvoir reconnaître un scout dans un contexte professionnel.
Il n'est pas écrit "le scout est l'ami de ses amis", mais "le scout est l'ami de tous". Prions-nous pour ceux qui nous harcèlent ? Avons-nous eu un mot de félicitations pour l'équipe d'à côté, quand leurs plus grands succès commerciaux nous ont privés d'un bonus ? Et pas seulement un mot, mais un cadeau personnalisé qui touche le cœur ? Car quand on demande au scout de faire dix pas, n'en fait-il pas dix mille de son propre chef pour marquer qu'il est bien son propre chef, qu'il n'en reconnaît qu'un seul et qu'il ne fait que rendre service ? Quand on lui prend son bleu de travail (par exemple à la fin d'une collaboration), ne donne-t-il pas aussi sa truelle, son savoir-faire et sa précieuse liste de contacts ? Faisons-nous preuve des plus grands égards vis-à-vis du petit personnel du back office, des stagiaires, des intérimaires et des manutentionnaires, et encore de tous ceux qui ne seront jamais d'aucune utilité à notre carrière ? En quoi sommes-nous un soutien aux placardisés de toutes sortes, un réconfort pour les moins performants ? Sommes-nous, enfin, disposés à recruter comme stagiaire un frère trisomique afin qu'il exprime un regard décalé, porteur de vérité sur nos réunions sépulcrales, témoignant ainsi de la richesse de nos différences ?
De couloirs en réunions, nous pouvons tous réchauffer les cœurs, déroger à la mécanicité du travail quotidien, aux normes implicites (ex : "Surtout ne rien dire!") qui entretiennent parfois des drames intimes inexprimés. Nous pouvons nous réjouir avec Bernard de la naissance de son troisième fils et encourager Martine à passer sa validation des acquis de l’expérience (V.A.E). Il ne tient qu'à nous de "prendre le temps de la rencontre", suivant la formule consacrée, de vouloir rencontrer vraiment les personnes que la vie nous fait croiser entre deux portes, entre deux postes. Conscients que ceux que nous rencontrons sont eux aussi un tout, indissociablement des pères/mères de famille et des travailleurs, il ne tient qu'à nous de continuer à entretenir sur notre lieu d'exercice professionnel des rapports sociaux que je qualifierais de normaux, c'est-à-dire faits d'empathie et d'attentions prévenantes, quand la norme professionnelle semble être de ne surtout pas "faire d'affects", de n'avoir de contacts que par les surfaces, normés, convenus, formatés. Nous n'avons pas à nous blinder face à la détresse d'autrui, car un ami ne le ferait pas.
S'il nous arrive, alors que la responsabilité nous en échoit, de devoir effectuer des "recadrages", d'administrer des sanctions ou de notifier des licenciements qui impacteront durablement des familles entières, gardons à l’esprit l'attitude de Jeanne d'Arc : loin de s'insensibiliser comme y invite une certaine sagesse du monde, elle pleurait sur les corps meurtris du champ de bataille, y compris et d’abord sur ceux de ses adversaires.
Allons au bout : le scout est appelé à mettre de la couleur, de la vie, de l'imprévu et des facéties dans des organisations parfois proches d'une "culture de mort", froides, rigides, dépersonnalisées. Le scout au travail ? L'antidote contre la grisaille, votre atout anti-morosité ! Pourquoi lui plutôt qu'un autre ? Parce qu'il chante sous la pluie.
Parce que frère, le scout accorde un même respect à tous
Se trouvant frère de tout autre scout, qui peut être quiconque, pour le scout il n'y a plus ni manœuvre, ni PDG, ni haut diplômé ni autodidacte, ni personnel de catégorie A, ni personnel de catégorie C. Il ne fait pas acception de personnes, il parle le même langage à toutes et à tous. C’est en frère qu’il s’autorise à parler vrai et librement, à dire ouvertement les choses et donc à corriger aussi bien le supérieur hiérarchique, le collègue, que le subordonné.
« Qui m’a établi pour être le gardien de mon frère et a fortiori de celui qui se trouve être provisoirement, fonctionnellement, mon supérieur ? »
« Qui m’a établi pour être le gardien de mon frère et a fortiori de celui qui se trouve être provisoirement, fonctionnellement, mon supérieur ? », pourrait-il croire possible d’objecter. C’est effectivement une dimension trop souvent oubliée : si la fraternité oblige au respect (c'est bien le minimum social) et même à la délicatesse (suivant la même logique de surcroît qu’explicitée plus haut), elle invite aussi à l’exigence. Qui ne sait qu’au titre de leur familiarité des frères se rudoient et se corrigent, même si cela doit blesser provisoirement ? Le premier respect dû à l’autre, c’est la vérité. En bloc et en détail. Ce qui implique d’oser aborder en réunion les sujets qui fâchent, de mettre les pieds dans le plat quand tous regardent leurs chaussures, d’aborder en franchise et précocement les problèmes pour le bien de l'entreprise. Bref, de préférer le dissensus qui vivifie au consensus qui rassure.
Ce quatrième article de la loi scoute est bien une provocation. Une provocation à l’unité en dépit de l’évidence des rivalités. Il rappelle que, tout comme, au-delà des divisions du mouvement scout il y a la fraternité scoute, il y a aussi au-delà des divisions entre sociétés concurrentes, entre divisions opérationnelles d’un même groupe industriel, une fraternité plus ample, dépassant les « fraternités » particulières et excluantes de telle ou telle marque, de telle ou telle chapelle managériale.
Il nous rappelle que si le projet constitutif de toute société, y compris commerciale, est d’être une fraternité (comme le signifient assez les régulières exhortations corporate à la confiance et à la cohésion), celle-ci ne saurait être conçue sur le modèle d’un club, comme une fraternité opposable à d’autres fraternités de combat économique. Il nous redonne à entendre que, ainsi qu’il en va du RASSO, la fraternité est un appel. Elle demande à se répandre, à dépasser l’entre-soi confortable de nos proches collègues en se faisant fraternisation active.
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