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Une loi qui libère - [Loi scoute & Vie pro] par Thibaud Brière de la Hosseraye
Cet article introduit à une série de dix portant sur chacun des articles de la loi scoute mis au regard de la vie professionnelle. Vous retrouverez chaque mois un nouvel article "Loi scoute et vie pro".
Pourquoi une loi ?
Si nous autres humains avons besoin d’une loi, c’est parce que nous peinons à faire ce que nous voulons, ballottés que nous sommes souvent par nos désirs, nos passions et les circonstances. Faisant l’expérience quasi quotidienne de notre difficulté à nous en tenir à nos décisions comme à nos promesses, nous nous donnons des lois ou une règle de vie (voire, en entreprise, des procédures et des normes de « savoir-être ») afin de nous aider à rester fidèles aux objectifs que nous nous fixons. Alors nous goûtons l’autonomie, laquelle se définit, dit Rousseau, comme « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite[1] ».
Les dix articles de la loi scoute, exprimés en 1920 par le vénérable Père Sevin à partir d’une’ formulation originale de Baden-Powell, constituent autant de rappels à l’idéal scout et aux engagements de la promesse : l’indicatif dit ce qui est en droit et qui, dès lors, doit être. Ce qui nous oblige, au sens où l’on dit « noblesse oblige ».
Des règles à adapter
Du Ciel de l’idéal aux réalités quotidiennes, il y a tout l’écart requis par l’adaptation aux circonstances. Et là, prudence.
Ne pas s’adapter à ce qui n’est pas acceptable, ne pas négocier ce qui ne l’est pas, c’est à la fois notre devoir et notre intérêt. Notre devoir, parce que nous nous renierions en acceptant de revoir nos exigences à la baisse, en renonçant à l’idée de l’homme et de la vie en société inscrite, en creux, dans la loi scoute. Notre intérêt, parce que nous avons d’autant plus d’existence, dans notre milieu professionnel, que nous ne nous confondons pas avec le mouvement dominant.
La doctrine de l’adaptation aux circonstances ne saurait justifier la trahison de ce que nous sommes. Au jeu des virevoltes entre partisans de l’adaptation pour l’adaptation, il est à craindre en effet que ce ne soit le plus contorsionniste qui l’emporte et donc, en profondeur, le plus invertébré : ce qui est un grand danger pour chaque ancien scout ‒qui l’est encore. La rhétorique de l’″adaptation″ ne dit jamais de quoi est fait ce qu’il faut adapter ″aux circonstances″ : et pour cause, le plus souvent, il n’y a rien à adapter, on ne fait que s’adapter. Entre tenir compte des circonstances et s’y rallier avec armes et bagages, il y a une grande différence. Autrement dit, ce n’est pas soi qu’il faut adapter aux circonstances, ce sont les circonstances qu’il faut s’adapter. Bien piètre navigateur, qui ne pourrait aller que là où le pousse le vent, où le porte le courant dominant.
S’adapter, « mettre de l’eau dans son vin », faire preuve de souplesse, ce ne doit jamais consister à mettre ses convictions dans sa poche et, finalement, à les dissoudre dans un vague relativisme selon lequel « à chacun sa vérité » au sens où il n’y aurait pas de vérité, en tout cas univoquement accessible à quiconque, en raison de quoi les Droits de l’Homme ne vaudraient pas pour les Chinois qui pourraient continuer à se torturer en paix, conformément à leur "vérité" propre de l’humain.
Une laïcité de principe
Une remarque, ici : ce qui frappe à la lecture de la loi scoute, c’est sa grande ouverture spirituelle. La seule référence à Dieu, dans l’article 6 (« Le scout voit dans la Nature l’œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux »), est très générique, sans précision aucune, ce qui permit sans doute la multiplicité des options religieuses aujourd’hui présentes à l’intérieur du grand mouvement scout. Il y a là pour nous un enseignement : l’une des premières fonctions du scoutisme, c’est d’apprendre à faire place à la liberté et à en maintenir l’espace ouvert. Si fidèles que nous soyons à telle religion, notre adhésion n’a de valeur et de légitimité que pour autant que soit respectée notre pleine liberté.
Et mettre la liberté à la première place, avant même l’adhésion à un dogme particulier, voilà ce que ne permettent pas toutes les religions. Il est même permis de se demander si ce ne serait pas une spécificité du christianisme que de libérer de lui-même (pour lui-même certes, mais ce n’est, en quelque sorte, que secondaire). Il est en effet remarquable que le christianisme accepte, dès son principe, l’auto-limitation, à commencer par celle du sacré en la personne du Christ et en l’Église son prolongement.
Parce que d’inspiration chrétienne (s’agissant du protestant Baden-Powell autant que du catholique Père Sevin), mais sans pour autant contraindre à une dogmatique particulière, la loi scoute manifeste que le christianisme est la seule religion qui mette la liberté de l’homme au-dessus même de la conformité à la volonté divine. Sous cet aspect, le scoutisme se trouve fondé sur une libération mutuelle du spirituel et du temporel. Le chef scout n’est pas aussi chef spirituel, d’où l’importance d’un aumônier, distinct. C’est en tant qu’il est une école de la liberté que le scoutisme acclimate le mieux à une saine relation à Dieu, parce qu’il n’y a que libres de l’aimer que nous puissions l’aimer vraiment.
Une telle inspiration chrétienne ne saurait trop conduire le scout, dans sa vie professionnelle, à se défier de toute forme de conditionnement des personnes, que celui-ci aille dans le sens de ses idées ou non. Attitude de vigilance bien utile, à une époque où nombre de grandes entreprises, sous couvert de culture d’entreprise, s’efforcent de modifier les croyances de leurs membres afin de convertir ceux-ci à des croyances et valeurs corporate alignées sur ce qu’elles s’imaginent être leur « mission », tant politique que sociale et sociétale. Quand des multinationales se font pourvoyeuses en sens, se déclarent à l’envi libérées et même libératrices de ceux qui les rejoignent, tout en imposant le respect de normes de « savoir-être » sans cesse plus tatillonnes, il n’est pas inutile de se rappeler que le Christ demande de libérer les peuples non pas de l’athéisme mais de l’idolâtrie, c’est-à-dire de l’asservissement aux idoles.
Par Thibaud Brière de la Hosseraye
Thibaud Brière de La Hosseraye est marié et père de quatre enfants. Il est philosophe en entreprise, conseiller en management, spécialisé dans les nouvelles formes d'organisation du travail et la prévention des risques professionnels. Il est l'auteur de "10 clés pour préparer mon entreprise au travail à distance" (Eyrolles, 2021) et de "Toxic management" (Robert Laffont, 2021). Titulaire d'un DEA de philosophie, diplômé d'HEC et lauréat de l'Académie des sciences morales et politiques, il a été onze ans scout à Paris, dont six de scoutisme marin.
[1] ROUSSEAU, Du Contrat Social, I, 8, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p. 365 : « L’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
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