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Donner du sens au suivi des entreprises - Aymeric Magnan de Bellevue
Je suis à la fois coach et formateur. Ayant commencé le métier par des formations aux méthodologies très concrètes du monde l’informatique et du management de projet, j’aime dans mes accompagnements de direction revenir à des éléments très concrets et opérationnels de management et d’organisation. Il est en particulier une approche qui me semble très intéressante et adaptée aux contraintes de notre époque : l’agilité et plus particulièrement le SCRUM (terme qui signifie « mêlée » et qui désigne la méthodologie la plus utilisée en informatique parmi les méthodes Agiles). La question est de prendre du recul pour voir comment transposer cette approche de management de projet des application informatiques dans les autres activités de l’entreprise et dans une culture du récurrent qui fonctionne en parallèle des projets. J’ai notamment été amené à mettre en pratique ces question durant l’année écoulée qui a forcé les organisations à s’adapter en urgence à de nouveaux modes d’organisation du travail et des équipes.
Les problématiques communes à la plupart des managers que j’ai rencontrés étaient de savoir comment garder le contact avec leurs équipes, comment insuffler de la motivation à distance, comment savoir que le travail était effectué, en résumé, comment suivre l’activité tout en gardant la relation. C’est au travers de la question des indicateurs que j’aimerais vous proposer quelques réflexions en me basant sur les travaux de Christina Wodtke[1] à propos des « OKR » (Objectives and Key Results).
Afin de situer la question des indicateurs, je vous propose quelques rappels historiques sur des concepts que nous manipulons tous les jours dans les organisations. Les sciences du management sont apparues dans les années 50 et en ce qui concerne les indicateurs, nous pouvons citer Peter Drucker[2] qui a introduit la notion de « Management by Objectives » qui invite le manager et le collaborateur à définir ensemble les objectifs. On rencontre souvent cette notion sur le terrain dans les processus d’entretien annuels où les objectifs de l’année avec toutes leurs conséquences en termes de compensation sont discutés. Même si cette notion date des années 50, il est probable qu’une partie d’entre nous soit encore dans un système où ses objectifs lui sont assignés sans aucune discussion avec toutes les conséquences en termes de non-motivation, de stress et d’épuisement professionnel. Un autre grand jalon dans l’histoire des objectifs est le début des années 80 où sont apparus les objectifs SMART[3] (spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporellement défini) et les KPI (Key Performance Indicators). Cette notion de KPI introduit la notion de métrique pour valider la performance. En 1999, John Doerr introduit les OKR chez Google car il les a déjà expérimentés chez Intel dans les années 70. Le constat d’Intel était que cette approche permettait à chacun de remettre son travail en perspective avec les objectifs de l’entreprise.
Les OKR permettent de répondre à deux questions : « Où est ce que je veux aller ? » et « Comment faire pour y aller ? ». La simplicité de ces questions introduit la grande différence de cette approche par rapport aux précédentes car dans le même mouvement où l’agilité simplifie les méthodes et les rapports vers l’essentiel, les OKR vont grandement simplifier les indicateurs. Cette approche se situe également à la convergence des précédentes puisqu’elle combine l’aspect qualitatif (Objectifs) et l’aspect quantitatif (Key Results). L’Objectif est établi pour une période courte d’un trimestre généralement et les Key Results indiquent si l’objectif a été atteint à la fin du délai. Généralement le nombre de métrique est très limité. Un objectif pour être opérationnel doit être clair et employable par une équipe indépendante. Pour cela, il doit dépendre de l’équipe, des personnes qui ont concrètement la capacité de le réaliser, et être réaliste en termes de durée et d’atteinte. Pour un objectif, on va mettre en place au maximum trois mesures. Ce minimalisme est souvent un point de résistance lors de la mise en place de cette approche.
L’idée est de pouvoir définir des objectifs qui soient non seulement SMART mais aussi tellement simples et clairs que chaque employé puisse s’en servir pour prendre des décisions dans son travail quotidien.
Les OKR ont connu leur essor lorsque Google, LinkedIn ou Twitter les ont mis en place. Les organisations mettent généralement en place cette approche pour trois raisons. La première est de faire le lien avec la « raison d’être » de l’entreprise pour accrocher son activité à un sens plus global. La seconde appelée « alignement » reprend l’idée du SCRUM ou du Lean Management de l’importance de la Valeur. Il faut s’assurer que toute l’entreprise se concentre sur ce qui compte le plus. Il est important de définir ce qui est important et comment on va le mesurer. Enfin la troisième appelée « Accélération » met en avant l’importance que l’équipe atteigne vraiment son potentiel. Concernant cette raison il est intéressant de voir comment Google s’y prend avec ce qu’ils appellent les « stretch goals » (objectifs élargis). Si on crée des objectifs inatteignables, on va au mieux baisser la productivité et la motivation des collaborateurs. Google fixe des OKRs tels que le succès signifie atteindre 70 pour cent des objectifs. L’atteinte de ces objectifs est considérée comme une performance extraordinaire. Ces objectifs « élargis » sont des étapes vers de grandes réalisations plus importantes qui poussent les équipes à se surpasser. Ces objectifs ne sont pas liés à des primes car cela impliquerait que les collaborateurs se sous-estimeraient systématiquement. Mais si on met en place ce type d’indicateurs et que l’on effectue ensuite une analyse en fonction du rendement réel, les employés sont récompensés en fonction de ce qu’ils font, et non de la façon dont ils mentent.
Un autre aspect pertinent de cette approche est la gestion de la temporalité. Tout d’abord, comme aucun de nous ne peut prédire l’avenir il est important de revoir ses prévisions régulièrement. Ceci explique la courte durée de indicateurs qui sont en général trimestriels. Ceci reprend l’idée de l’agilité que l’on pourrait résumer sous le principe « Small is beautiful » et dans les méthodes agiles de gestion de projet, les « sprints » ou phase de projet durent entre 15 jours et un mois. Plus c’est petit moins c’est risqué, plus c’est maitrisable, mieux je peux le prévoir. Cette courte périodicité se décline au niveau de chaque semaine ou l’agilité nous invite à mettre en place des rituels pour que l’équipe s’implique et soit solidairement engagée et responsable. Par exemple, on parle du « Daily Scrum Meeting » où l’équipe se réunit tous les matins 15 mn pour que chacun puisse dire aux autres : 1) « Voilà ce que j’ai fait hier », 2) « Voilà ce que je vais faire aujourd’hui », 3) « Voici les obstacles qui m’empêchent d’avancer ». C’est une pratique agile que je recommande en temps de confinement et de travail à distance pour conserver le lien dans l’équipe. Afin que ce ne soit pas ressenti comme de la surveillance, la posture du manager devient celle du « Leader Serviteur »[4] qui accompagne son équipe et élimine les obstacles afin qu’elle soit au maximum de ses capacités. L’agilité transposée au reste de l’entreprise nous invite à « célébrer » le début et la fin de la semaine. Chaque lundi, l’équipe est invitée à se retrouver pour vérifier les progrès et s’engager à accomplir les tâches qui aideront l’entreprise à atteindre son objectif. Chaque vendredi est le jour des vainqueurs. Comme les équipes sont ambitieuses elles échouent beaucoup et il est essentiel que chaque équipe partage ce qu’elle a fait. Cela permet d’avoir la sensation de faire partie d’une équipe gagnante « globale » et cela fait naitre la hâte d’avoir quelque chose à partager, ce qui motive l’équipe. Dans cette vision agile, nous sommes dans la « blameless culture » ou l’échec n’est pas vu comme quelque chose de problématique mais comme une belle occasion d’apprentissage et d’amélioration.
L’agilité a fait ses preuves dans le monde de l’informatique et l’élargir à l’ensemble des organisations est sans doute une évolution nécessaire et heureuse pour nous adapter aux défis complexes de notre époque. Le frein est que tout comme dans le monde informatique, ce n’est pas juste une question de mise en place de nouveaux processus ou de nouvelles méthodologies mais plus un changement d’état d’esprit qu’il faut accompagner.
[1] Christina Wodtke, Introduction to OKRs, O’Reilly Media, 2016
[2] Peter Drucker, The Practice of Management, Harper, New York, 1954; Heinemann, London, 1955; revised edn, Butterworth-Heinemann, 2007
[3] George T. Doran, There’s a S.M.A.R.T. way to write management’s goals and objectives, Management Review, novembre 1981.
[4] Robert Greenleaf, The servant as leader, 2008
par Aymeric Magnan de Bellevue, diacre permanent, coach, formateur
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