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L’obéissance : chemin de liberté
Article 7 de la loi scoute : le scout obéit sans réplique et ne fait rien à moitié
Qu’il est difficile de parler de l’obéissance aujourd’hui ! L’autorité perçue comme l’exigence d’une exécution aveugle des subordonnés à des injonctions impératives, conduit nécessairement à penser le rapport commandement-obéissance dans une dialectique irréconciliable. A partir de là, il n’est pas difficile de percevoir l’obéissance comme une soumission illégitime qui aliène la personne humaine en lui faisant perdre la dignité de sa liberté.
D’un autre côté, il est vrai que des affaires d’abus dans l’exercice de l’autorité ont pu remettre en cause légitimement la vision d’une autorité qui ne respecte pas pleinement la liberté. Quand un chef demande qu’on lui obéisse sans répliquer et que son exigence n’implique pas un examen de l’intelligence, alors on est en droit de craindre une véritable aliénation de ceux qui lui sont subordonnés. Pour que l’obéissance soit légitime elle doit répondre à une autorité qui l’est tout autant. L’obéissance doit faire grandir le bien et la vertu dans le cœur de celui qui obéit et pour cela l’autorité doit avoir pour objet le bien et la vertu. En effet, celui qui est dépositaire d’une autorité a une très grave responsabilité dans la mesure où il peut légitimement exiger de ses subordonnés qu’ils agissent de telle ou telle manière. Cette capacité ne peut venir de lui-même. Nul homme ne peut se donner à lui-même la capacité de diriger et de mener d’autres personnes sans l’avoir reçue d’un autre plus grand que lui.
Dans une hiérarchie cela est évident, au scout ou dans une entreprise, dans une famille ou dans l’armée, cela se comprend aisément. Mais le chef qui est tout en haut de la fédération, du groupe international, de la famille ou de l’armée, de qui reçoit-il la légitimité de son autorité ? De Dieu ! Seul Dieu, en tant qu’Il est la source de tout bien et de tout amour, peut offrir une légitimité à celui qui a pour mission de diriger d’autres hommes pour un bien commun et leur propre bien.« Obéir à la Volonté suprême, c’est la seule façon pour l’homme d’être vraiment grand. En réalité, ce n’est qu’à Dieu que nous obéissons en obéissant à notre chef. Si notre chef cessait lui-même de s’accorder avec la Volonté souveraine de Dieu, il ne pourrait plus réclamer notre obéissance.»[1]
« L’obéissance rend la volonté prompte et toujours prête à accomplir la volonté du chef. »
« Le scout obéit sans réplique et ne fait rien à moitié », est-il écrit dans l’article 7 de la loi scoute. Fort de ce qui précède, on peut dire qu’il s’agit donc de faire sienne la volonté du chef. Il s’agit d’obéir sans répliquer, c’est à dire avec confiance. « Nous demandons à nos Scouts cette vertu d’obéissance. Qu’ils accueillent la volonté de leurs chefs comme une volonté amie dont le désir est de les faire grandir, de les amener plus haut qu’ils ne pourraient jamais monter s’ils étaient seuls. Puisqu’au jour de leur Promesse ils se sont donnés au Bien, qu’ils aient donc pour tout ce qui peut les rapprocher du Bien cette inclination spontanée qui est le principe de toute docilité et de tout loyalisme. L’obéissance rend la volonté prompte et toujours prête à accomplir la volonté du chef. »[2]
Répliquer signifie répondre vivement en s’opposant. Celui qui réplique, conteste la légitimité de l’ordre qui lui est donné. Si l’ordre est objectivement inconvenant, il va de soi qu’il est parfaitement juste de s’y opposer, de refuser d’obéir.
Dans un processus éducatif, comme le scoutisme ou la vie scolaire, l’enfant ou le jeune est soumis à une autorité instituée à laquelle il se doit d’obéir avec confiance. Pour que cette autorité soit légitime, elle doit participer à former la liberté, c’est-à-dire la capacité à vouloir et à faire le bien. L’expression de l’autorité de l’éducateur va perfectionner l’intelligence et la volonté, on pourrait dire la conscience de l’enfant. Ce perfectionnement de l’enfant par l’action de l’autorité éducative permet le déploiement de la liberté et, en ce sens, respecte la dignité de l’enfant.
Obéir vient du verbe latin oboidire qui signifie littéralement « prêter l’oreille à »[3] et dont le préfixe « ob- » renvoie à l’importance de la finalité, c’est-à-dire du sens du propos auquel on prête l’oreille. L’autorité éducative se doit donc de rechercher une obéissance qui intègre la compréhension du sens de ce qui est demandé. Intégrer le sens de l’ordre de l’autorité exige un accompagnement de la part de celui qui détient l’autorité pour s’assurer que l’enfant ou l’adolescent entend et comprend le pourquoi de l’exécution qui lui est demandée. Ce qui ne doit pas nécessairement retarder l’exécution. Là encore, c’est la croissance intégrale de l’enfant qui en est l’enjeu.
« Rien par force, tout par amour. » Saint François de Sales
« Il convient que les disciples obéissent au maître ; mais il convient également que ce dernier dispose toute chose avec sagesse et équité. »[4]. L’exigence d’une obéissance sans réplique, entraîne nécessairement l’exigence d’une autorité vertueuse et exemplaire. La compréhension d’une juste conception de l’autorité, nous conduit naturellement à évoquer la douceur salésienne. Saint François de Sales avait pour devise épiscopale : « Rien par force, tout par amour. » Cette devise ne doit pas laisser imaginer que le célèbre évêque d’Annecy était doux de naissance ou encore qu’il faisait preuve d’une quelconque mollesse, bien au contraire. Colérique de tempérament, il a exercé la vertu de force jusqu’à l’excellence, pour y découvrir le chemin suave de la douceur envers lui-même et envers les autres. Cette douceur, selon lui, s’exprime par la patience envers nos fautes et celles des autres. Elle permet d’éviter les soubresauts d’une volonté qui s’emporte par désespoir sur nous-mêmes ou par dépit envers les autres. La douceur salésienne est le fruit de l’amour, l’amour du bien des autres qui commence par l’amour de son propre bien. « Charité bien ordonnée commence par soi-même. » La recherche du bien chez un éducateur doit commencer par sa propre édification. Si l’éducateur ne s’élève pas au degré de l’exigence qu’il espère trouver chez ceux dont il a la charge, il ne pourra rien espérer dans l’exercice de son autorité. Celui qui ne s’applique pas à lui-même ce qu’il exige des autres finira comme Tartuffe ! La voie salésienne est à la fois douce, car il suffit d’être bien ce que l’on est, et exigeante, car elle demande une forte exemplarité de la part de l’éducateur et beaucoup d’entrainement. Et pour le saint savoyard, ce n’est pas par un effort brutal de la volonté que l’on y parvient, mais par un mouvement longanime et par des petites étapes bien assurées.
L’obéissance devient alors un chemin de liberté.
Pas plus que la terre ne peut se passer du soleil, l’enfant ne peut davantage se passer de l’éducateur et s’il refuse de lui obéir, c’est à lui-même qu’il porte préjudice. »[5]. C’est à ces conditions que l’on peut exiger d’être obéi sans réplique et que l’on peut demander à ceux que l’on dirige qu’ils ne fassent rien à moitié, qu’ils soient persévérants dans leurs actions, qu’ils aillent jusqu’au bout de la mission qui leur a été confiée et qu’ils soient constants dans leurs efforts. Notre exemplarité (qui n’est certes pas la perfection) et notre quête d’excellence éducative, nous permettront de demander à ceux que nous dirigeons de donner le meilleur d’eux-mêmes, c’est-à-dire leur excellence. C’est le « faire de son mieux » du louveteau qui se prolonge dans cet article 7 de la loi scoute. L’obéissance devient alors un chemin de liberté. Celui qui refuse d’obéir est souvent esclave de nombreuses dépendances ou addictions, il est incapable de se faire violence pour rompre les liens qui l’emprisonnent dans une pratique désordonnée. L’obéissance au chef, à nos parents, à nos éducateurs, engage beaucoup plus que l’ordre que l’on reçoit, elle contient le moyen de notre perfectionnement, de conformer notre volonté au bien. L’obéissance est un chemin de sainteté. « Que votre Volonté soit faite ».
« Un Scout obéit, mais comme un homme libre qui ne se soumet en réalité qu’à Dieu et qui, s’il accepte l’autorité d’un autre homme, le fait, ayant réfléchi que cet homme est pour lui l’organe de la divine volonté et l’intermédiaire de son progrès. Dès lors il obéit avec empressement, car quoi de plus pressé que de devenir meilleur ; avec joie, car quel bonheur plus doux que de grandir ; avec abnégation, car quel sacrifice refuserait-on pour avoir une vie plus belle ? »[6]
[1] « Commentaire de la Loi scoute, d’après saint Thomas d’Aquin » Père Reginald Heret, OP, éditions SPES, Paris 1929
[2] Idem
[3] Comme dans les premiers mots de la règle de saint Benoit : « Écoute, ô mon fils, les préceptes du Maître, et prête l’oreille de ton cœur. » C’est aussi le Chema Israël, Ecoute Israël, du Deutéronome.
[4] Saint Benoît, Règle, chapitre 3, paragraphe 6.
[5] Saint Thomas d’Aquin, De Veritate, q. 23, art . 1
[6] « Commentaire de la Loi scoute, d’après saint Thomas d’Aquin » Père Reginald Heret, OP, éditions SPES, Paris 1929
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