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[QUESTION EDUCATION] Du bon usage de nos biens
Article 9 de la loi scoute : Le scout est économe et prend soin du bien d'autrui

20 septembre 2023 Education

Cet article de la loi scoute semble nous inciter à la modération dans la consommation, et à un esprit de responsabilité dans les dépenses financières de notre vie quotidienne. La seconde partie exige un respect actif pour les affaires et la propriété de ceux qui nous entourent. Cet article ne serait-il qu’une formulation de bon sens ? Cela me paraît un peu léger et je me propose d’en approfondir l’interprétation.
 
En effet, la pratique d’une vertu importante se cache derrière ce neuvième article, il s’agit de la vertu de libéralité[1]. Il serait regrettable que cette vertu demeure méconnue car elle revêt une importance particulière dans notre société de consommation. Certes, il ne s’agit pas d’une vertu cardinale[2] mais elle découle de la vertu de justice. La libéralité consiste à bien user des choses matérielles dont il est possible d’user mal. S’il est possible de mal utiliser nos biens, notre argent et ce que nous possédons en général, alors il est vertueux d’en user pour le bien, le nôtre et celui des autres[3].
 
Notre société occidentale est marquée par un esprit consumériste profond. La vie économique de notre société de marché a pour carburant la consommation des ménages. Plus la consommation est importante et plus la société va bien, dit-on ! On peut se dire effectivement que des familles qui consomment largement ont des moyens importants - ce serait alors un signe de bonne santé sociale - et qu’elles facilitent la production et les services, ainsi que l’emploi. Mais cela doit-il conduire à penser que la consommation est un bien absolu pour la société, un bien commun et donc une finalité économique pour le politique ? Il est important que le chef politique facilite par son action l’obtention des moyens de subsistance et de confort des familles et des individus dont il a la charge. En le faisant, le politique sert la dignité humaine dans la société et la mise à disposition des biens matériels pour le bien des familles. Mais est-ce que le passage de l’homo sapiens à l’homo economicus assure le bien de l’homme et son bonheur de façon nécessaire ? Force est de constater que non. A l’inverse, la misère qui consiste à ne pas disposer des biens élémentaires pour sa subsistance ou le développement de la vie familiale et l’éducation des enfants, est un mal objectif, on y voit le symptôme d’un mal social voire d’une incurie politique. In medio stat virtus. Il s’agit de bâtir la voie du juste milieu pour que l’usage des richesses offre à tout homme la possibilité de se délecter des fruits de son travail et que leurs répartitions assurent la solidarité dont les plus démunis ont besoin pour vivre dans la dignité. Il s’agit là d’un bien commun. On comprend alors que la règle qui enjoint à être économe s’applique autant au porte-monnaie familial qu’au portefeuille ministériel.
 
Par ailleurs, notre société de consommation provoque un gaspillage dans de nombreux domaines : alimentaires, vêtements, fournitures, matériel de bureau, etc. Il est important d’éduquer très tôt nos enfants au respect de la création et des biens matériels. Cela peut commencer en se servant avec parcimonie de ce dont on a besoin pour se nourrir, se vêtir et pour les différents équipements domestiques. Il est certain que la vie éphémère des produits de consommation et leur obsolescence programmée ne disposent pas à des changements d’attitude et à une éducation à la responsabilité. Notre propre légèreté ou notre négligence, voire nos caprices de consommateurs compulsifs, abîment la légitimité de notre autorité éducative dans ce domaine. La mesure que nous nous imposons en tant que parents sera plus facile à partager avec nos enfants dans leur éducation, nous devons évidemment être des exemples. « Soyons donc ce que nous voulons qu’ils soient. Pour cela, ne rien demander aux autres que nous ne l’ayons déjà donné à Notre-Seigneur est le secret de tout obtenir. »[4]
Dans la vie familiale il n’est pas toujours facile de trouver le juste équilibre dans nos discours et nos actes quant à l’usage de l’argent avec nos enfants. Faut-il parler d’argent avec eux ? Certains pensent que non et que cela ne doit pas être un sujet de préoccupation pour nos enfants. A quel âge faut-il commencer à leur laisser de l’argent ? Combien ? Pour quels achats ? Certains épargnent pour leurs enfants durant des années et leur transmettent des fonds, plus ou moins importants, lors de leur majorité ou comme une dote. D’autres pensent à l’inverse que cette façon de faire peut donner le sentiment de l’argent magique, que c’est à chaque enfant de gagner son argent de poche, de prendre conscience de la valeur de l’argent et de son lien avec le travail en découvrant peu à peu par lui-même les étapes qui mènent à la réussite et à son aisance matérielle. Le choix n’est pas simple à trancher car il faut considérer la situation dans sa globalité. La pédagogie est un art complexe et la vision intégrale de la personne interdit le discours simplificateur ou la distribution de recettes qui s’appliqueraient à tous les enfants en toutes circonstances. De nombreux éléments entrent dans ce discernement : l’âge des enfants, leur place dans la fratrie, un garçon ou une fille, une vie rurale ou citadine, une grande famille ou un enfant unique, des parents entrepreneurs, dans la fonction publique, l’artisanat ou une profession libérale, un patrimoine hérité important, des enfants qui ont besoin de prendre les transports en commun, un uniforme ou pas d’uniforme à l’école, un jeune lycéen ou étudiant qui doit s’acheter son déjeuner, etc. Autant de paramètres qui peuvent entrer en ligne de compte dans la réflexion des parents sur le sujet de la gestion de l’argent.
 
S’il est risqué de donner des recettes pour dire à des éducateurs quoi faire dans tel ou tel cas, il est en revanche tout à fait possible d’exprimer quelques pistes éducatives qui faciliteront le développement d’une attitude économe chez nos enfants. De façon générale, tout ce qui pourra aider nos enfants à former dans leur conscience une juste valeur de l’argent est bon pour les rendre économes et responsables dans la gestion des biens : des stages ouvriers dès le collège, des services ordinaires gratuits en famille, des services extraordinaires qui peuvent donner lieu à un petite rémunération, lutter contre toute forme de gaspillage dans la vie quotidienne, l’apprentissage d’un petit budget dès que possible, leur donner le sens de l’anticipation dans leur projet qui nécessite une sortie d’argent, leur enseigner une méthodologie pour structurer un plan de dépense pour des vacances par exemple, participer à des maraudes, leur apprendre à donner 10% de ce qu’ils gagnent pour les plus nécessiteux, etc.
Transmettons à nos enfants le bel enseignement de Jésus parlant à ses apôtres au moment de les envoyer en mission : « Vous avez reçu gratuitement, alors donnez gratuitement. »
 
Transmettons à nos enfants le bel enseignement de Jésus parlant à ses apôtres au moment de les envoyer en mission : « Vous avez reçu gratuitement, alors donnez gratuitement. »[5] Tous les parents pourraient dire cela à leurs enfants au moment de les laisser quitter le nid familial pour s’engager dans leur propre vie, c’est le sens de la piété filiale.
 
Celui qui apprend à être économe et à tourner son regard vers les autres dans l’usage qu’il fait des biens, se détache peu à peu des biens matériels pour aborder ce qui appartient au prochain avec un plus grand respect. Le Père Héret, dans son commentaire de la loi scoute donne une autre dimension à ce bien d’autrui : « Le bien d’autrui, ce n’est pas seulement les objets dont il est propriétaire, c’est encore son temps, ménagez-le. C’est encore sa réputation, son honneur. Pensez-vous qu’il peut y avoir faute grave à lui dérober ces biens-là ? Saint Thomas nous dit que « parmi les biens temporels, notre réputation paraît des plus précieux, puisque, quand on l’a perdue, on est empêché d’agir… Une parole qu’on lance peut être assez grave pour devenir un péché mortel si elle blesse notamment la réputation d’autrui, surtout s’il s’agit de son honneur. On est tenu à restituer la réputation ainsi lésée comme à restituer toute chose qu’on a volée ». Le bien d’autrui, c’est encore sa légitime confiance en soi ; évitons de la troubler intérieurement, de la déprécier, de la confondre par la dérision. C’est enfin ses amitiés, ne les détruisons pas, ce serait lui prendre un trésor, s’il est vrai « que rien n’est comparable à un ami fidèle ».[6]
 
Nous avons probablement une vue trop matérialiste des biens d’autrui et de notre bien propre. Le Père Héret nous aide à distinguer ce qui est important de ce qui est essentiel, et ce qui est essentiel de ce qui est sacré. Sa réflexion me conduit à penser, avec douleur, à tous ceux dont la réputation a été salie, voire totalement détruite, par des accusations sans fondement et qui n’ont jamais été restaurés dans leur dignité.
 
Au-delà du respect de la valeurs des richesses, symboliques ou réelles, c’est l’attitude du cœur qui compte vraiment, c’est pourquoi il est important que nos enfants, toujours dans un esprit scout, apprennent à se donner sans compter, à travailler sans souci de repos et à se dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir qu’ils font la volonté de leur Créateur[7]. C’est par ces belles attitudes de cœur que nos enfants apprendront à donner le meilleur d’eux-mêmes (faire de son mieux), c’est à dire à rechercher leur propre excellence. C’est par l’énergie du cœur qu’ils pourront se donner sans compter. Voilà un domaine où la parcimonie est le symptôme de l’égoïsme. Se donner sans compter ! C’est grâce à ce même cœur qu’ils penseront aux autres avant de penser à leur propre satisfaction. « Là où est ton trésor là aussi sera ton cœur »[8] nous dit Notre Seigneur dans l’évangile. Notre cœur et nos affections se tournent naturellement vers ce que nous considérons comme un trésor, c’est-à-dire vers un essentiel devenu sacré. Ce « trésor » attire toute notre attention et notre cœur unifie notre vie autour de lui. Si ce trésor est le Christ lui-même alors il conduira notre vie vers le Ciel, mais si l’argent, le pouvoir, les honneurs ou notre gloire personnelle représentent notre « trésor », alors il nous enfermera dans un égocentrisme réducteur et assombrira le bout du chemin.
 
Finalement, l’appel à être économe et à prendre soin du bien d’autrui, incite à la pratique d’une vertu aux confins de la justice et de la charité. 

   

Fondateur de Saint-Joseph Education (https://www.saintjoseph-education.fr)
Auteur de "La Voie de l'éducation intégrale"
 

[1] La vertu de libéralité porte sur un usage juste de l’argent et des richesses en générale, comme  pour toutes les vertus, la libéralité est un juste milieu entre deux excès dans le rapport à l’argent : l’avarice et la prodigalité.

[2] Les vertus cardinales sont la prudence, la justice, la force et la tempérance, selon Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, et toute la tradition morale de l’Église catholique depuis le commentaire qu’en fît saint Thomas d’Aquin.

[3] Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, Iia IIae Q. 117, art 1

[4] Citation du Père Jacques Sevin

[5] Phrase extraite de l’Évangile de saint Matthieu Chapitre 10 V. 7-15

[6] « Commentaire de la Loi scoute, d’après saint Thomas d’Aquin » Père Reginald Heret, OP, éditions SPES, Paris 1929

[7] Texte  de la prière scoute : Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux, à Vous servir comme Vous le méritez, à donner sans compter, à combattre sans souci des blessures,  à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser, sans attendre d'autre récompense, que celle de savoir que nous faisons Votre Sainte Volonté.

[8] Phrase extraite de l’Évangile de saint Matthieu Chapitre 6 V.21 

 
 
 



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