News
Etre prêt, oui mais à quoi ?
Je suis allé sur un navigateur sur internet et dans la rubrique « actualités » j’ai tapé les mots : « toujours prêt ». Et voilà les titres qui sortent :
- Coupe de France, PSG /Neymar toujours pas prêt
- L’Iran toujours prêt à un échange de prisonniers
- Cyril Hanouna prêt à se battre
- La moitié des républicains toujours prêts à suivre Trump
- Chelsea prêt à offrir Timo Werner plus d’argent
Si je prends la rubrique de toutes les publications (« tous »), tous les titres de la première page font référence au scoutisme (sauf deux qui renvoient à un site de traduction en langue français-anglais).
Quand il s‘agit d’actualité, on le voit, être prêt signifie « prêt à se battre », sur le plan militaire, sportif, politique, voire en mode people. Mais quand il s’agit de définition, nous voyons que l’expression renvoie clairement au scoutisme qui s’inspire lui-même de la devise de bon nombre d’unités militaires britanniques et américaines (semper paratus).
Partons donc de cet usage à la fois originel et actuel qu’on fait de l’expression « être prêt » avec son sens de combat. A quels combats sommes-nous prêts en tant qu’anciens scouts, anciennes guides ?
Si nous n’exerçons pas une fonction médiatique, politique, militaire ou sportive de premier plan, nous pouvons avoir l’impression que l’on nous a coupé les ailes, les griffes, la trempe, le caractère dans une société guidée par le relativisme (chacun sa vérité), la dissuasion administrative ou sécuritaire face à toute initiative ou prise de risque personnelle, le risque zéro, le culte du diplôme en dehors duquel on ne reconnaît pas de valeur à l’homme (les valeurs servant uniquement à la marge comme élément différenciant entre deux diplômés). Aujourd’hui nous en sommes arrivés à développer des soft skills pour exercer un soft power. Bref, on nous demande de construire un monde d’anti-héros.
Et pour exorciser nos passions, des combats nous sont proposés par procuration avec la politique, le sport, les peoples, les militaires. Mais le combat est évacué de notre quotidien. Nous n’avons plus besoin d’être prêts.
Mais me direz-vous, pour le commun des mortels, il reste des combats qui sont quotidiens, tels que s’occuper des enfants, supporter un patron pénible, boucler des fins de mois. Oui vous avez raison : commençons par faire les choses ordinaires de manière extraordinaire.
Est-ce pourtant la seule signification que nous devons donner à notre devise « Toujours prêt » ? Notre horizon indépassable est-il celui de notre univers domestique et de la fin de mois ? Un ancien scout, une ancienne guide qui a vécu l’aventure scoute pendant plus de huit ans avec des camps en forêt aux quatre coins de la France ou de l’Europe, qui a développé la notion de service de manière extraordinaire peut-il se contenter de ces combats quotidiens et réduire la devise « Toujours prêt » à ces combats quotidiens ?
Où sont les saints et les héros de notre temps dont la devise est « Toujours prêt » ? Le scout n’est-il pas appelé à la sainteté et à l’héroïsme ? Pourquoi la majorité des figures médiatiques qui sont prêtes à en découdre sont-elles si loin de la sainteté et de l’héroïsme ? Sans doute parce que nous n’y sommes pas, parce que la nature a horreur du vide, parce que nous ne sommes pas prêts. Nous avons toujours l’alibi d’une tâche domestique valable pour ne pas être prêts.
La devise des scoute est née au XXème siècle. Elle a traversé le siècle et son cortège d’événements qu’il s’agisse des guerres, de la conquête de l’espace, de la recherche en médecine, des performances sportives avec les Jeux Olympiques, de l’avènement des nouvelles technologies. Elle a suscité des gestes qui font déjà partie de la grande histoire. Mais en 2021, dans un monde qui n’est pas moins dense, l’écho de cette devise est pourtant étouffé en nous par la modernité, « cette conspiration contre la vie intérieure » ainsi que la décrivait Bernanos. Sommes-nous prêts à nous débarrasser de l’encombrante modernité pour entendre de nouveau le son clair de notre chère devise ? Sommes-nous prêts à « quitter la pauvreté du confort » et à « recevoir les richesses de l’effort » ?
Les accents épiques de ces lignes peuvent sembler décalés. Pourtant, je crois que la Vierge Marie, qui n’était pas prédestinée à vivre une épopée, a toujours été prête aux plus grandes aventures : elle reçoit la visite de l’ange, ce qui nous paraît une évidence, mais ne l’est pas pour elle : « comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme ? ». Elle va ensuite faire 120 km à dos d’âne (probablement 4 jours de marche) avec un bébé de neuf mois dans le ventre conduite par son mari, qui est un modeste et besogneux charpentier. Elle va accoucher dans une étable un soir de grand froid. Non, il n’y avait pas d’électricité comme dans nos crèches. Y avait-il seulement une bougie ? La Sainte Vierge a-t-elle seulement vu le visage de son fils cette nuit-là ? Elle présente l’enfant au vieillard Siméon. Celui-ci lui prophétise qu’un glaive lui transpercera le cœur. Comment peut-on vivre 10, 20, 30 ans avec la pensée d’avoir son propre cœur transpercé un jour ? Hérode voulant tuer l’enfant, elle doit fuir cette fois-ci en Egypte avec un enfant en bas âge de moins de deux ans : la voilà partie pour une semaine à pied vers l’inconnu qu’est l’Egypte. Puis avec Joseph et Jésus, elle va vivre pendant 3 ans en exil dans cette terre inconnue. Puis son fils part. Alors elle le suit. 3 ans de pérégrination. Et puis il y a la Passion. Les mots manquent pour parler de la douleur de cette femme…
A la question de l’ange qui aurait pu être « Marie, seras-tu prête ? », elle répond Fiat. Je suis la servante du Seigneur. Et parmi nous, gentes dames et beaux chevaliers du scoutisme, qui est la servante du Seigneur ? Qui est le serviteur inutile de Dieu ? Qui est toujours prêt ?
Être prêt peut-il encore être notre devise ultime ? On entend plus souvent « business is business », « business as usual », « c’est trop risqué », « que va-t-on en penser ? », « je n’ai pas le temps », « ce n’est pas pour moi ».
Il faut terminer ces quelques lignes par de belles figures anonymes qui ont accepté de dire « Toujours prêt » : je pense à nos amis qui ont adopté des enfants, d’autres amis qui ont adopté des enfants trisomiques, ces parents qui ont accueilli tous leurs enfants du premier au dernier avec la même générosité. Ceux qui s’exposent dans le combat politique au service du Bien commun, ceux qui répondent à la vocation religieuse ou sacerdotale, ceux qui deviennent chefs et cheftaines de groupes dans le scoutisme, ceux qui accueillent les camps scouts l’été, ceux qui organisent des pèlerinages, ceux qui créent des réseaux comme Le RASSO, ceux qui investissent leur argent dans des fondations religieuses ou culturelles. Ou plus simplement, celles qui font les bouquets de fleurs sur les autels, ceux qui visitent les malades ou qui font l’école dans les hôpitaux, ceux qui visitent les prisonniers, celles qui accueillent les mamans seules en détresse avec leur nouveau-né, celles qui apportent de l’aide aux prostituées, ceux qui sont inscrits à l’adoration perpétuelle. Le champ de l’engagement est vaste, il y a un service pour chacun. Nous pouvons tous dépasser notre horizon domestique et nous lancer dans un service, en famille, avec son conjoint et ses enfants.
1 Commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.