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[LE PORTRAIT DU RASSO] Frère Laurent, Recteur du sanctuaire de Pellevoisin
Vous êtes entrée à l’AGSE dans les premières années, en 1975, racontez-nous votre parcours scout ?
Je suis rentré dans la patrouille du chamois, à la IIIème Versailles en septembre 1974. J'avais 11 ans et n'était pas passé par la meute ! C'est pourquoi cette première année a été un peu initiatique ! J'ai fait ma promesse avec bonheur en juillet 1975. À 16 ans, j’ai commencé une année de route à Vézelay terminée en beauté sur la route de Saint Jacques. Cette année reste éclairée par la figure de Bernard You + CNR et de Guillaume Pons +. Après quoi, j’ai retrouvé mon ancien CP, Renaud de Thé, devenu CT, comme assistant. Puis après mon ordination chez les Frères de Saint-Jean, en 1988, j’ai retrouvé le scoutisme notamment au service des groupes de Rueil.
Comment et à quel moment avez-vous reçu l’appel à donner votre vie à Dieu ?
C’est durant l’enfance qu’une mystérieuse attraction s’est réalisée presqu’à mon insu. Je me vois encore essayant de dessiner un saint Dominique de Fra Angelico (c’était un bon père dominicain qui m’avait préparé à ma première communion !) et une icône de saint Serge de Radonège (mon père a travaillé 8 ou 10 ans avec les soviétiques et se rendait souvent derrière le mystérieux “rideau de fer”).
Très certainement, le scoutisme a joué un grand rôle dans la prise de conscience et la maturation de cet appel, conjointement avec l’engagement hebdomadaire au lycée à la Conférence St Vincent de Paul et en terminale la participation à la messe à la Maison d’Arrêt. C’est lors de la rencontre du saint pape Jean Paul le Grand avec les jeunes au Parc des Princes que la décision de m’engager m’a été donné.
En septembre je faisais connaissance avec le maître des novices, j’en parlais avec le père aumônier du collège, le père préfet, le conseiller religieux et mon père spirituel puis avec mes parents, qui m’ont accompagné avec discernement, en éclairant respectueusement. Je rends hommage particulièrement à l’abbé Christian-Philippe Chanut qui m’a entouré avec affection, magnanimité, grandeur d’âme.
Vous avez été plusieurs fois conseiller religieux chez les Guides et Scouts d’Europe, comment voyez-vous ce rôle ?
J'y vois une présence à la fois discrète et stimulante, pour oser le dépassement de soi et de l’entre-soi dans la mise en œuvre du double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.
Vous avez contribué, en lien avec les Guides et Scouts d’Europe, à former des groupes scouts orthodoxes, pouvez-vous nous raconter cette aventure ?
Nommé curé à Orléans en 1994, à la faveur d’un audacieux camp de routiers près de Novgorod (partis en car !) des contacts avec un mouvement scout russe renaissant sur la terre russe nous ont permis avec Jacques Mougenot et Pierrette Givelet, Jeanne Taillefer, Robin Sebille et Jean-Luc Angelis de partager avec enthousiasme le savoir-faire pédagogique de la FSE à ce nouveau monde dont les frontières s’étaient ouvertes. La réalité des difficiles dialogues Orient-Occident nous a souvent rattrapé et les résultats n’ont pas été à la mesure de nos espérances, mais n’est-il pas écrit “l’un sème, l’autre moissonne !”. J’ai ensuite passé 14 ans dans le Caucase russe, durant lesquels j’ai gardé des contacts épisodiques avec le scoutisme, ne serait-ce que par quelques visites de scouts ou de guides dans cette région ignorée de Tintin : la Kabardino-Balkarie !
Vous êtes de retour en France depuis 2 ans, qu’est-ce que cela fait de revenir après quinze ans passés en Russie ?
Je dois parfois lutter pour ne pas être nostalgique ! Mon attachement à la terre russe reste très fort, très certainement à la mesure de l’engagement et des difficultés traversées là-bas. Il me semble être parfois, toute proportion gardée, dans la situation de quelqu’un à qui on a amputé un bras ! Il éprouve toutes sortes de douleurs : « le plus étrange, c’est cette impression que le bras disparu est bel et bien présent. Le membre fantôme ! Zinovi en avait souvent entendu parler. Quelle surprise pourtant quand, voulant attraper un biscuit, il fait un mouvement avec son moignon... Le chirurgien a parlé de ’’repousse valérienne’’, lui a expliqué que « les nerfs sectionnés repoussaient d’un millimètre par jour dans les premiers temps après l’opération, qu’ils ne savaient pas, eux, que la main avait disparu et s’évertuaient toujours à la faire fonctionner. Qu’ils finiraient par comprendre à force de se heurter aux chairs cicatrisées. » (Pechkov, Le Manchot Magnifique, Guillemette de Sairigné).
De cette expérience dans ce pays d’extrêmes, je retiens :
- la proximité avec des personnes qui ont beaucoup souffert (l’idéologie bolchevique ayant réalisé de rudes persécutions, la pauvreté peut aujourd'hui aller jusqu’à une misère matérielle et morale lourde).
- le dépouillement par rapport au paraître, aux fonctions, au besoin d’avoir une place dans la société, en étant au service d’une minuscule minorité religieuse et ethnique.
- l’appartenance à un presbyterium chaleureux provenant de quatre continents, très uni autour d'un évêque zélé, humble et généreux. Le territoire du diocèse de Saratov est trois fois grand comme la France.
- le témoignage et le compagnonnage quotidien avec les sœurs de Mère Teresa.
- la fraternité avec divers autres chrétiens, même si ce fut parfois compliqué, beaucoup de liens étroits m’ont invité à rechercher l’unité dans l’amour commun du Christ-Jésus.
- une vie de prieuré simple enracinée dans une fervente « prière de suppléance » dans laquelle nous prêtons notre voix à ceux qui sont sans voix pour crier vers Dieu, L’adorer, Le louer...
- la joie et la simplicité des enfants dans la beauté de la nature, avec une sensation de liberté, dans ces immensités un peu sauvages.
- la bienveillance des gens et leur hospitalité, parfois concomitante avec bien des misères, et malgré les problèmes sociétaux qui semblent parfois insurmontables.
- l’alliance avec la terre, la nature au village avec le jardin et les chevaux, en montagne...
Si, grâce à Dieu, nous avons pu avec les frères donner quelque chose en Russie, finalement, il me semble que la Russie a été pour moi un maître spirituel. (Voir https://catholiquescaucase.wordpress.com)
>> Lire aussi le portait d'Antoine Meaudre, prêtre des missions étrangères de Paris
Vous êtes maintenant Recteur du sanctuaire Notre Dame de Miséricorde à Pellevoisin, pouvez-vous nous en dire plus sur ce sanctuaire ?
C’est le 5e acte des Manifestations mariales au XIXème siècle en France, bien mis en lumière par l’aventure du “M de Marie” l’été 2020. La Vierge Marie s’y présente comme mère et maîtresse de vie spirituelle à Estelle Faguette, dont on prépare le procès de béatification. La Vierge Marie y délivre un message très actuel pour traverser les eaux troubles de ce monde qui passe : “Calme, Courage, Confiance”… (Voir https://www.pellevoisin.net/).
Pellevoisin abrite également Saint Jean Espérance, une œuvre qui aide les jeunes à sortir de leurs addictions, celle de la drogue principalement, pouvez-vous nous expliquer concrètement la mission de l’association ?
L’association Saint Jean Espérance a pour mission : l’accueil, l’aide, la restructuration, et la réinsertion sociale de jeunes hommes de 18 à 35 ans en difficulté du fait d’addictions, particulièrement de la toxicomanie. Les jeunes séjournent volontairement dans nos maisons pour se libérer de l’emprise de la drogue, se restructurer et préparer leur réinsertion. Aux jeunes est proposé un parcours de 3 ans dans un cadre familial, fraternel, avec du travail manuel, des temps de formation et de réflexion sur soi, en s’appuyant à la fois sur sa propre responsabilité et sur une rencontre personnelle avec le Christ-Sauveur (Voir https://www.stjean-esperance.net/).
La pédagogie scoute est-elle une source d’inspiration pour les frères et les laïcs qui accompagnent les jeunes de Saint Jean Espérance ?
Il s’y trouve des éléments comme la vie proche de la nature, les responsabilités au service des autres, cependant la démarche de guérison est plus clairement inspirée des Alcooliques Anonymes ou bien des Narcotiques Anonymes. Il ne s’agit plus seulement de se construire comme enfant de Dieu et comme membre de la cité, il s’agit d’abord de se confronter aux esclavages de ce monde soumis au combat contre les puissances du mal, les tentations, les dépendances qui parfois prennent la forme de maladie.
Concrètement, comment Le RASSO et ses membres peuvent vous aider à accompagner ses jeunes en difficulté ?
Il faut apprendre à connaître ces dépendances et les bonnes réactions, un peu comme on apprend les gestes de premiers secours. Quand on ne connait pas, on peut soit paniquer, soit être naïf. (Voir http://al-anon-alateen.fr/)
Ensuite, on peut faire savoir que l’association peut recevoir des jeunes en service civique comme assistant-volontaires pour les activités encadrées par les frères ou des professionnels.
Un souvenir qui a marqué vos années scoutes ?
Simplicité, joie du service, endurance, liberté dans la nature… difficile équilibre entre les défis de l’aventure et de la sécurité (trop de règlement peut inhiber la formation de la prudence).
Un verset qui vous guide ?
“L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre.”
Une prière à nous partager ?
J’ai découvert en Russie le chapelet de la miséricorde divine avec les sœurs de Mère Teresa, que je prie volontiers.
Un petit mot pour Le RASSO ?
C’est une très belle initiative que de poursuivre ces liens d’amitié scoute, de solidarité fraternelle. N’hésitez pas à garder, donner signe de vie à certains que la vie a malmené.
Ce que vous aimeriez dire aux jeunes chefs et cheftaines ?
C’est bien de soutenir la croissance par l’action, le mouvement, l’élan, le dynamisme… il faut veiller à maintenir l’équilibre entre “donner et recevoir”, “émissivité et réceptivité”, “respirer et inspirer”… Marthe et Marie !
Le scoutisme peut parfois générer une certaine forme d’idéalisme de système de valeurs morales déconnecté d’une connaissance de soi et de réflexion sur la relation avec l’autre et de l’Alliance avec Dieu.
Veiller à bien respecter la croissance de chacun, l’aidant à se dépasser selon Dieu, évitant de susciter des “sur-moi” artificiels qui se révèlent très handicapant, voire destructeurs plus tard. Le scout/la guide voit dans la nature l’œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux” est une parole qui devrait susciter l’admiration, l’émerveillement, la contemplation, le goût de la sagesse que Dieu révèle dans le livre de la nature (… la jungle ?) qui est l’œuvre de ses mains. C’est de cette matière prise dans la nature que nous offrons le pain et le vin par lesquels le Seigneur perpétue invisiblement mais réellement son Alliance dans la sainte Eucharistie. Le goût de la sobriété heureuse à laquelle invite le pape fait très certainement partie du scoutisme. Il est certainement aussi important d’apprendre à jouer de la guitare que de se lancer dans des exploits physiques !
Plus que devenir un héraut, la sainteté consiste en premier lieu à se laisser aimer par Dieu et remplir par la grâce et bien sûr en réponse se donner généreusement.
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