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La relation à l'argent, enjeux et apport du scoutisme

 C’est mon expérience de chef de groupe qui m’a amené à poser cette réflexion sur l’argent. J’ai constaté durant les 6 années au service d’un groupe scout plusieurs difficultés :

  • Des jeunes chefs qui ne savaient pas gérer les opérations les plus simples d’un budget
  • La tentation d’acheter des prestations durant les camps pour émerveiller, faire mieux que l’année précédente (ici un vélo rail, là une tyrolienne, …)
  • Le gaspillage de matériel et en parallèle l’organisation de vente de gâteaux (ou autre activité lucrative) pour en racheter
  • L’absence de motivation dans la vente de calendriers, d’autant plus qu’un paquet de 5 calendriers par enfant était donné aux familles, charge à ces enfants de les vendre dans leur entourage (quitte à ce que certains parents s’acquittent du prix de la totalité des calendriers pour se débarrasser du problème)
  • D’autres mouvements organisent une course aux subventions

Et l’argent devient une finalité… que fait-on à la prochaine sortie ? un extra job ou vendre du muguet pour financer…

Il y a un engrenage qui pousse à rechercher toujours plus d’argent, une certaine paresse s’installe et les fondamentaux du scoutisme disparaissent.

Former : nous organisions en début d’année un atelier pour les jeunes chefs sur la gestion d’un budget (planifier, organiser, suivre) mais aussi la différence entre gérer son argent et gérer celui des autres

Entretenir et investir : une journée dédiée à l’entretien du matériel de toutes les unités du groupe pour réparer, reconstituer des tentes, améliorer, mais aussi un budget de groupe pour racheter du matériel de qualité. Le secret de la réussite de cette journée : la bonne ambiance

Des règles : pas d’activité rémunératrice (quelque soit l’unité) sans un budget préalable accepté par le groupe, « je travaille pour financer … » et surtout « gagnons de l’argent, et nous verrons ensuite comment le dépenser »

A chacun ses capacités, au service du bien commun : la vente de calendrier est organisée à l’échelle du groupe, des équipes sont constituées en mélangeant les unités jaune et verte. Il est clairement plus facile à un louveteau de vendre un calendrier qu’à un scout boutonneux en train de muet mais la présence du scout rassure le louveteau et tous les 2 ont participé à la réussite. Avec un grand rasso final, quelques jeux et tous les calendriers sont vendus.

Une fête de groupe qui a marqué les esprits : nous avons demandé aux parents de réaliser un gigantesque concours cuisine à partir d’ingrédients fournis pendant que d’autres réalisaient quelques activités de froissartage ou suivaient un jeu de piste. Simplicité des moyens, des sourires sur tous les visages et même une activité bénéficiaire permettant d’investir dans du matériel.

Être chef de groupe c’est aussi l’émerveillement de voir des jeunes s’engager, donner de leur temps gratuitement, parfois prendre des congés pour partir en camp et dans tous les cas se mettre au service, travailler pour que les camps puissent avoir lieu alors qu’ils disposent de multiples sollicitations qui semble plus « fun » ou tout simplement d’activités rémunératrices.

Et enfin ce sont ces regards qui pétillent à la vue de ce qu’ils ont réussi à faire avec un peu de bois, une scie, une tarière, fierté de la réussite d’une belle œuvre. Je suis persuadé qu’il n’est pas possible d’atteindre le même résultat avec du bois acheté bien tronçonné aux bonnes dimensions, équarri et assemblé avec des clous, voire des équerres.

Le scoutisme nous invite à la simplicité. Une éducation par le jeu au plus proche de la nature.

Vivre dans la nature, nous apprend à exister avec ce qui nous est donné, ce qui est reçu. A partir de cette réalité, je poursuis une finalité, celle de faire grandir des filles et des garçons pour en faire des hommes et des femmes libres. Chaque action dans le scoutisme doit être ordonnée à cette finalité et doit prendre en compte la réalité. Et dans ce contexte l’argent n’est qu’un moyen, il doit être un serviteur. La tentation est grande de vouloir modifier la réalité et pour ce faire se mettre au service de l’argent qui devient une finalité.

Exemple : la troupe grossit, il faut créer une nouvelle patrouille, cette patrouille doit s’équiper et elle va multiplier les activités lucratives pour financer tente et outils, l’aventure de cette patrouille c’est de gagner de l’argent et cela se perpétuera de patrouillard en patrouillard. Autre manière de voir les choses : la patrouille ne naît pas d’elle-même, elle est le fruit d’une troupe, d’un groupe qui fonctionne, c’est donc une responsabilité commune de lui donner les moyens de vivre et grandir et parce qu’elle est fragile c’est elle qui doit être dotée d’une tente neuve mais aussi de toute l’attention qui fera que cette tente neuve sera bien entretenue.

Par analogie, osons des vacances plus simples, tentons de partager sa voiture en la louant ou prêtant, éteignons parfois la télé ou les ordinateurs et leurs publicités envahissantes au profit d’un jeu de société, investissons durable et éthique plutôt qu’en recherchant le rendement dans un monde sans inflation, discernons ce qui est nécessaire et superflu, … Regarder en permanence dans le champ du voisin si l’herbe est plus verte, rend foncièrement malheureux. Cette tension perpétuelle vers un mieux ou un plus nous coupe de la relation à l’autre. C’est une question d’ordre. En premier, la relation à son conjoint, ses enfants, ses proches, les humains dans son entourage avant la quête de confort, de possession. Mettre un ordre n’empêche pas le progrès, le développement mais le remet à sa juste place.

 

Thierry Villemagne
Gérant d'Humanem, organisme de formation
"Je dois beaucoup au scoutisme : ma construction comme homme, la rencontre avec Cécile, mon épouse, la découverte de la joie de servir et aujourd’hui cela me nourrit comme gérant d’une entreprise de formation et alimente la réflexion d’HUMANEM Formation sur l’homme au travail.

 




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3 Commentaires

Georges Bernard KRANTZ (GPE 5e STRASBOURG)
Il y a 3 ans
Excellente réflexion. Question récurrente qui traverse les générations. Combien de toiles de tente perdues par défaut de séchage et d'entretien au retour d'un camp ou d'un week-end. L'idée d'organiser un cours d'économie domestique en début d'année est excellente mais mon terme de cours est inadéquat > dans le scoutisme tout cours passe par le jeu.
Le détournement de la vente des calendriers m'(a toujours désolé car c'est aussi un moyen de faire connaître le Mouvement. Le binôme scout/guide - louveteau/louvette a toujours fonctionné à merveille.
GBK ancien CPrS Alsace et Lorraine
Laurent SUGY (MTE 1re NAUTIQUE LYON)
Il y a 3 ans
Réflexion très juste qui rejoint mes constats quand j'étais CGS et CDS : les jeunes chefs et assistants n'ont aucune éducation vis-à-vis de l'argent. Le simple fait de leur demander des comptes en fin de camp est une sinécure qui peut prendre des mois !
Quelle image de notre unité/groupe quand les paroissiens nous voient essentiellement pour les ventes de gâteaux ?
Une partie de ce constat vient aussi du fait que nous sommes en grande majorité des "Bourges". Ce n'est pas une critique, mais un constat ; et en notre monde consumériste, l'argent et ses facilités nous ont aussi atteints : ne pas priver nos enfants de ceci ou cela ("les pauvres"... )
Il en va de même pour cette propension grandissante des CG & CD de vouloir financer à 100% les activités des chef(taine)s & assistant(e)s et leurs formations, au motif "qu'on leur en demande beaucoup".
Et bien non. Le don de soi passe aussi par le dons de ses biens matériels, de son argent. Il est finalement plus facile pour de nombreuses familles d'acheter x polos "LMPT" à chacun de leurs nombreux enfants - y-compris étudiants "nourris/logés/blanchis" que d'accepter qu'ils paient leur nourriture au camp sous prétexte qu'ils servent.
Et bien... non encore. Et on s'en fiche que "s'ils avaient leur BAFA dans une association lambda, ils seraient payés" : la gratuité du service est essentielle : c'est un choix personnel et familial (car nombre de nos chef(taine)s de 17 à 25 ans sont encore sous la coupe de leurs parents).
En revanche, l'exception, l'inégalité, doivent être admis : le chef, le scout, qui n'ont objectivement que peu de moyens doivent bénéficier d'une solidarité fraternelle sans limite, y-compris d'argent.
Ce sujet est très intéressant et difficile à faire comprendre.
Et sur un autre plan, n'oublions jamais l'article 9 de notre loi, et sachons méditer et intégrer la différence fondamentale entre "économe" et "radin"
FSS à tous en espérant ne choquer personne par mes propos.
Christian DARANTIERE (TPE 25e PARIS)
Il y a 3 ans
Très bonne réflexion, avec parfois des difficultés de stockage du matériel dans les familles pour les groupes Scouts de petites villes où il n'y a pas de local... Il faut éviter que la chaine des responsabilités ne redescende jusqu'aux materialistes et à leur famille sans etre sur de ce qui sera fait pour le bon entretien du matériel. Sans s'etre assuré que toutes les familles de matérialistes sont en capacité d'hiverner les tentes et le matériel...
FSS
Christian

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